Villa Poiret : le manifeste moderniste oublié de Robert Mallet-Stevens

À 40 kilomètres à l’ouest de Paris, sur les hauteurs de Mézy-sur-Seine, une silhouette géométrique intrigue et fascine encore les amateurs d’architecture. La Villa Poiret, chef-d’œuvre inachevé signé Robert Mallet-Stevens, fut commandée en 1921 par le couturier avant-gardiste Paul Poiret. Résultat : une œuvre résolument moderne, devenue mythe au fil du temps.
La villa Paul Poiret : une œuvre d’art architecturale
Un rêve moderniste devenu mythe
À l’aube des années 1920, Paul Poiret rêve d’une demeure à l’image de ses créations : libérée des conventions, innovante, spectaculaire. Il confie son projet à Robert Mallet-Stevens, jeune architecte en pleine ascension, connu pour son goût de l’avant-garde.
Commencée en 1924 sur un terrain dominant la vallée de la Seine, la Villa Poiret prend la forme d’une sculpture architecturale. Loin des styles classiques encore en vogue, elle impose une esthétique radicale : volumes cubiques, toits-terrasses, immenses baies vitrées, escaliers monumentaux et structure en béton armé, matériau alors révolutionnaire. Son allure évoque un paquebot échoué sur la colline, une image forte qui deviendra emblématique.
Mallet-Stevens y expérimente ce qui deviendra sa signature : l’importance de la lumière naturelle, l’épure des lignes et une circulation fluide pensée pour accompagner la vie quotidienne. Le projet prévoit aussi un atelier de couture et une collection d’œuvres d’art, dans l’esprit du Gesamtkunstwerk, œuvre totale chère aux avant-gardes européennes.
Malheureusement, à la fin des années 1920, Paul Poiret est frappé par la ruine. Le chantier est stoppé en 1930, laissant la villa inachevée, sans aménagement intérieur ni mobilier conçu sur mesure.

Le mythe d’une maison inachevée
Privée de son commanditaire et laissée à l’état brut, la Villa Poiret devient paradoxalement une légende. Son minimalisme, sa radicalité et son lien étroit avec la nature en font une prémonition des grandes réalisations modernistes à venir, à l’image de la Villa Savoye de Le Corbusier ou des maisons du Bauhaus.
Elle incarne un manifeste de modernité : elle rompt avec l’architecture traditionnelle en affirmant des choix radicaux — abstraction géométrique, fonctionnalisme, esthétique du béton — tout en suggérant un nouvel art de vivre, dégagé du superflu.
Aujourd’hui encore, malgré son histoire chaotique, la Villa Poiret fascine par son caractère brut et visionnaire. Inachevée, morcelée, partiellement restaurée, elle continue de porter l’utopie moderniste, entre grandeur visionnaire et fragilité humaine.
A l’origine : Robert Mallet-Stevens, architecte visionnaire
Robert Mallet-Stevens (1886-1945) est une figure majeure de l’architecture moderne française.
Diplômé de l’École spéciale d’architecture, il impose un style rigoureux et sculptural, alliant béton, verre et métal pour créer des espaces fluides et lumineux.

À la différence de son contemporain Le Corbusier, Mallet-Stevens ne publie pas de théories : il s’exprime uniquement à travers ses projets. Outre la Villa Poiret, son œuvre emblématique comprend :
- La Villa Cavrois à Croix, chef-d’œuvre restauré et classé.
- La rue Mallet-Stevens à Paris, ensemble moderniste autour de son agence.
- Le garage Citroën rue Marbeuf et l’hôtel particulier de Paul Dupré-Lafon.
Proche du milieu du cinéma, il réalise aussi des décors pour Marcel L’Herbier, et fonde en 1929 l’Union des Artistes Modernes (UAM).
La Villa Poiret s’inscrit dans cette période d’effervescence artistique, où Mallet-Stevens impose une vision radicalement contemporaine de l’habitat.

Que devient la Villa Poiret ?
Morcelée dans les années 1980, partiellement abandonnée, la villa a connu un destin mouvementé. En 2025, elle est remise en vente dans son intégralité, au prix de 4 millions d’euros. Une rare opportunité pour les passionnés d’architecture souhaitant redonner vie à ce chef-d’œuvre moderniste.

Si elle n’a jamais été habitée par Paul Poiret, la Villa reste l’un des projets les plus emblématiques de Mallet-Stevens. Plus qu’une maison, elle est une œuvre totale, au croisement de l’art, de l’architecture et du design. Elle raconte l’audace d’une époque et la rencontre fulgurante entre deux créateurs visionnaires.