
Difficile de rester indifférent face au palissandre. Bois exotique et tropical par essence, il impose immédiatement sa présence. Originaire du Brésil, d’Inde ou de Madagascar selon les espèces (Dalbergia nigra, latifolia, baronii), le palissandre est un matériau capricieux mais noble.
Avant de devenir l’essence phare du design scandinave, le palissandre (aussi appelé « bois de rose », rosewood en anglais) était le bois du prestige.
Utilisé dans les meubles de style, les instruments de musique, les marqueteries complexes et les intérieurs coloniaux, il incarnait un luxe mondial, entre savoir-faire européen et matériaux exotiques.
Dans les années 1920-1930, il s’invite dans les pièces Art déco, souvent associé à des laques, du galuchat ou encore du chrome.
Fiche d’identité du palissandre
Derrière sa beauté brute, le palissandre révèle une matière complexe, exigeante, riche en nuances.
Texture, densité et sensations
Voici les caractéristiques du palissandre :
- Densité : très élevée (800–950 kg/m³), bois lourd et très dur.
- Grain : fin à moyen, souvent ondulé.
- Veinage : très marqué, souvent spectaculaire, avec des contrastes de teintes.
- Toucher : soyeux, parfois gras ou ciré naturellement.
- Odeur : subtilement épicée à la coupe (surtout sur les espèces de Madagascar ou d’Inde).
Couleurs, lumière et patine
Le palissandre affiche une palette profonde, entre brun rouge et reflets violacés, traversée de veinages sombres presque noirs. Avec le temps, il se densifie, sa teinte se creuse, sa patine devient plus riche, plus intense. Sa surface capte la lumière comme le cuir patiné, avec des reflets subtils et une présence visuelle forte.
Travail du bois et finition finale
Bois dense et naturellement huileux, le palissandre demande un véritable savoir-faire : il résiste aux collages classiques et se travaille difficilement sans outils adaptés. En revanche, une fois maîtrisé, il offre un rendu exceptionnel, particulièrement sous finition huilée ou vernie, qui fait ressortir la profondeur de son grain et la richesse de ses nuances.

Quelles sont les différentes essences de palissandre ?
Le terme palissandre regroupe plusieurs essences de bois du genre Dalbergia. Voici les principales :
- Palissandre de Rio (Dalbergia nigra) : brésilien, brun sombre à veines violacées, luxueux et aujourd’hui protégé (CITES).
- Palissandre des Indes (Dalbergia latifolia) : plus homogène, brun chaud, encore exploité légalement, fréquent en mobilier et lutherie.
- Palissandre de Madagascar (Dalbergia baronii) : très foncé, presque noir, au grain serré ; rare et très recherché en lutherie.
- Palissandre de Santos (Machaerium scleroxylon) : proche visuellement du Rio mais d’une autre famille d’essence (il ne fait pas partie de la famille Dalbergia), il est plus accessible et est souvent utilisé en remplacement, ce qui lui vaut parfois le nom de « faux palissandre ».
- Palissandre africain (Dalbergia melanoxylon) : bois quasi noir, très dense, surtout utilisé pour les instruments à vent, rarement en mobilier.
La plupart de ces bois sont aujourd’hui réglementés, ce qui renforce leur valeur et leur statut dans le design vintage.

Les années 1950 : période de bascule pour le palissandre
Dans les années 1950-1970, le palissandre délaisse les salons bourgeois pour se fondre dans des lignes pures, presque silencieuses du design scandinave. Il devient la matière des nouveaux salons, des appartements pensés par des architectes, des directeurs de studio, des amateurs de jazz.
Les designers danois comme Arne Vodder, Hans Wegner ou encore Ib Kofod-Larsen abandonnent le chêne clair et le teck au profit de ce bois sombre, sensuel, dense.
Son veinage expressif devient un motif à part entière. Le palissandre permet aux designers de jouer sur les contrastes : volume léger / matière lourde, ligne épure / texture vive.
Le palissandre ne tolère pas la demi-mesure : on l’assume pleinement ou il étouffe l’espace. Mieux vaut l’utiliser seul, en pièce forte, comme une œuvre d’art.
Mobilier en palissandre : typologies et usages emblématiques
Le palissandre est principalement utilisé dans :
- Les enfilades ou buffets bas : longues, basses, souvent avec façades sculptées ou à portes coulissantes,
- Les bureaux modernistes : avec caissons suspendus, incrustations, plateaux galbés,
- Les tables de repas extensibles : où le bois exprime toute sa profondeur sur de grandes surfaces,
- Les meubles hi-fi : consoles audio, meubles intégrant radio et platine, véritables totems du salon moderne,
- Le mobilier modulaire ou multifonction : à l’image des designers danois et allemands qui expérimentent la transformation de l’habitat.
Il se marie surtout à des piétements fins, parfois métalliques, à du cuir noir ou à du marbre clair. Sans ostentation, mais avec une présence indéniable — une véritable signature.
Palissandre : quelques pièces de mobilier iconiques
L’enfilade Model 29 ou les bureaux en palissandre d’Arne Vodder
L’enfilade Model 29, dessinée en 1957 par Arne Vodder pour Sibast Møbelfabrik, est un classique du design danois, reconnaissable à ses poignées en vague sculptées dans le bois. Fabriquée en palissandre, elle combine lignes tendues, asymétrie subtile et savoir-faire précis. Une pièce élégante et fonctionnelle, où chaque détail met en valeur la beauté naturelle du bois, sans surcharge.

Grand bureau en palissandre de Rio imaginé par le designer danois Arne Vodder. D’un côté, deux caissons de rangement à trois tiroirs et de l’autre côté, trois caissons ouverts.

Lounge Chair de Charles & Ray Eames
Pensée comme une version moderne du fauteuil club anglais, le Lounge Chair combine technologie, confort et raffinement.
Imaginé en 1956 par Charles & Ray Eames pour Herman Miller, le Lounge Chair est composé d’une coque en contreplaqué moulé avec un placage en palissandre (dans ses premières éditions), une assise en cuir noir et la base du piètement en aluminium. Cette association de forme et de matériaux offre un confort incomparable.

Le palissandre utilisé sur les premières versions apporte une chaleur rare à une pièce pourtant très industrielle. Le contraste entre le bois sombre, le cuir mat et la base métallique crée un équilibre parfait. À la fois décontractée et statutaire, elle est devenue un manifeste du design américain d’après-guerre.
Le palissandre aujourd’hui
Devenu rare dès la fin du XXe siècle, notamment avec la protection du palissandre de Rio dans les années 80, ce bois précieux est aujourd’hui strictement réglementé.
Malgré sa rareté, il n’a rien perdu de son pouvoir d’attraction. Il refait surface grâce aux pièces vintage, aux ventes aux enchères et aux marchands spécialisés.
Pour l’intégrer dans les intérieurs d’aujourd’hui, le palissandre s’associe particulièrement bien avec des matières comme le lin lavé, la laine bouclée ou le velours côtelé. Côté couleurs, il fonctionne à merveille avec le bleu pétrole, le vert mousse, le jaune moutarde, le sable ou un noir dense. Et pour les contrastes, rien de tel que le marbre clair, un métal patiné, ou un cuir camel profond.
Certains designers contemporains s’en inspirent, via des bois teintés ou des reconstitutions. Mais le vrai palissandre, celui du XXe siècle, reste inimitable.

À contre-courant des tendances éphémères, le palissandre rappelle que certains matériaux traversent les époques sans jamais perdre leur intensité.